entretien avecJulien Lauprêtre, président du Secours populaire : « Toute la France est sinistrée »
Le Secours populaire, qui a aidé l’année dernière 2,6 millions de personnes, lance demain les festivités de son 70e anniversaire. Rencontre avec son président emblématique.
Julien Lauprêtre, une partie de la population française est aujourd’hui sous perfusion ? Cette évolution vous inquiète-t-elle ?
« Il y a quelques années, quelques régions seulement étaient touchées. Aujourd’hui, toute la France est sinistrée. L’année dernière, nous avons distribué 181 millions de repas. Je ne parle pas ici de repas pour améliorer l’ordinaire du week-end. Je parle de Français qui n’ont rien dans le frigo. La faim dans le monde, ce n’est pas uniquement le petit noir décharné que l’on voit dans les magazines. »
Sentez-vous monter une inquiétude chez les Français ?
« Les Français ont peur de devenir pauvres. 60 % des Français, selon un sondage Ipsos réalisé en septembre pour notre association, ont au moins un proche qui connaît une situation de pauvreté. Familles monoparentales, travailleurs pauvres, étudiants, retraités… Il y a aussi des gens qui, il y a quelques années, se croyaient à l’abri, des petits artisans, des commerçants. On voit arriver à nos permanences de belles bagnoles avec au volant des gens qui portent des cravates… »
La descente aux enfers est-elle sans retour ?
« On peut refaire surface, relever la tête… C’est notre message. On ne demande pas aux bénéficiaires de nous remercier. Mais chacun peut être utile, donner un peu de son temps… On explique que c’est aussi une façon d’exister, de retrouver une citoyenneté. Cette démarche permet de tordre le cou à ceux qui parlent des pauvres comme d’assistés. »
Pourquoi les politiques ne parlent-ils pas des pauvres ?
« Je ne comprends pas. Est-ce une question de honte ? De mépris ? Est-ce que les pauvres les renvoient à leur propre échec ? Comme avocat des pauvres, nous appuyons pourtant là où ça fait mal. On alerte, on aiguillonne les pouvoirs publics… C’est comme si les politiques sous-estimaient la gravité de la situation. Pourtant, aujourd’hui, on fait face à un raz de marée de la misère. Dans de nombreux départements, on a assisté en 2014 à une augmentation de 20 % de la demande d’aide. En revanche, les politiques sont présents aux inaugurations de nos locaux. Ils savent nous faire les yeux doux. Mais il ne faut pas compter sur nous pour gagner des voix. Nous restons totalement indépendants. »
Les politiques mettent-ils la main à la poche pour vous aider ?
« L’année dernière, seize députés de tous bords ont utilisé leur réserve parlementaire. Cela fait un don global de 140 000 euros. Il faudrait développer cette source. »
La générosité des Français est-elle toujours au rendez-vous ?
« Oui, même si on sent les effets de la crise. Nous sommes la première association pour la distribution de denrées alimentaires et de vêtements, la première pour l’organisation de vacances pour les enfants… Mais nous sommes à la 25e place pour la récolte de dons ! Dans l’esprit des gens, nous sommes une association de solidarité matérielle. Mais récolter des jouets et des pantalons ne suffit pas. Nous avons aussi besoin d’argent. Recevoir de l’argent n’était pas dans notre culture. »
Quelles sont les autres pistes pour collecter de l’argent ?
« On souhaiterait développer des partenariats avec les entreprises en reprenant ce qui se fait chez Henkel France. Quand un employé prélève une somme de son salaire pour notre association, la société nous vire automatiquement le même montant. »
Avez-vous de généreux donateurs ?
« Il y a des sportifs généreux, comme Jo Wilfried Tsonga. On peut aussi compter sur quasiment toutes les fédérations sportives (comme celle du basket) qui nous donnent des places, voire qui organisent des matches au bénéfice du Secours populaire. »
Vous lancez demain lundi votre opération Pères Noël verts ? Qu’attendez-vous des Français à quelques jours des fêtes de fin d’année ?
« Avec Josiane Balasko, notre marraine, on veut donner de l’espoir aux familles en difficulté. Nos Pères Noël ne sont pas des concurrents de ceux habillés en rouge. Les nôtres passent là où les Rouges ne vont pas faute de moyens. On organise une grande collecte de jouets. Mais il nous faut aussi de l’argent pour organiser les repas des personnes âgées, payer les billets de train aux enfants qui se rendront dans des familles d’accueil. »
Quels seront les temps forts en 2015 des festivités du 70e anniversaire du Secours populaire ?
« L’été prochain, nous participerons à la caravane du Tour de France dans le cadre d’un partenariat avec ASO, la société organisatrice. A chaque arrivée d’étape, il y a aura des manifestations proposées aux enfants que nous accompagnons. »
La manifestation la plus spectaculaire aura lieu à Paris.
« Elle sera très symbolique. 70 000 enfants se rassembleront le mercredi 19 août au Champs de Mars pour “les Oubliés des vacances”. On voudrait profiter de cette opération pour faire venir des enfants de 70 pays dans le cadre du mouvement “Copains du monde”. L’année dernière, par exemple, des enfants du Niger ont bénéficié du voyage. Aujourd’hui, ils fabriquent et vendent des bracelets au profit d’autres enfants pauvres qui n’ont pas assez d’argent pour manger dans les hôpitaux. Ces actes récompensent tous nos efforts.
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